Qui sont les acheteurs de dinosaures ?

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Sachez d’abord que les acheteurs de dinosaures sont peu nombreux. Il s’agit d’avoir un portefeuille bien garni, de bénéficier d’un espace pour stocker le squelette ou l’exposer, et de ressentir un certain amour pour les vieux os. Un profil qui ne court pas les rues. Au point que ce genre de vente reste risqué : les trois principaux squelettes d’une vente de Sotheby’s en 2011 (ci-dessus) n’ont, par exemple, jamais trouvé preneur. 

Eric Mickeler, qui travaille en France avec des sociétés de vente aux enchères, assure que le marché compte pourtant plusieurs centaines de personnes en France. Un chiffre difficile à vérifier. Selon lui, les acquéreurs sont principalement de grandes entreprises, quelquefois des héritiers, des grands patrons et des stars. Leur profil va de l’amateur de paléontologie et de curiosités naturelles aux fans de Jurassic Park. « Ce sont des gens qui étaient passionnés par les dinosaures tout petits, et le sont restés », analyse-t-il.

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Certains collectionneurs privés peuvent vouloir garder les pièces dans leur musée personnel, comme celui du prince saoudien Al-Thani, ou pour « décorer » leur intérieur. La maison d’enchères britannique Summer Place avait aussi utilisé l’argument décoratif pour vendre un jeune allosaurus, en novembre 2015. Rupert van der Werff, le directeur, décrivait ainsi à la presse le fossile :« Malgré son énormité, cet allosaurus a tout de même quelque chose de mignon. Il ne va pas intéresser que les musées. Il peut même apporter une touche surprenante dans un salon luxueux ». Mais aucun milliardaire excentrique ne s’est montré suffisamment intéressé.

D’autres collectionneurs prêtent leurs nouvelles acquisitions à des musées, « pour que le plus grand nombre en profite ». Ou, tout simplement, par manque de place. Le dernier allosaurus vendu en France est parti chez Christie’s pour 1,3 million d’euros. Il a été acheté par une entreprise du CAC40 et a été exposé à l’université scientifique de Bâle (Suisse). Même scénario pour l’ophthalmosaurus, un reptile marin du Jurassique vendu chez Christie’s en 2008 (ci-dessous). Acheté 181 000 euros par une autre entreprise du CAC 40, il a été prêté au Musée océanographique de Monaco puis au Paléospace de Villers-sur-Mer.

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Pourquoi acheter ce type de pièce si on ne peut pas en profiter chez soi ? Par goût du mécénat ou parce qu’on espère un retour sur investissement. Claude Aguttes, directeur de la société de ventes aux enchères du même nom, explique que « l’intérêt et l’engouement pour ce type d’objets ne se démentiront pas. Et il restera rare. On pourra faire une plus-value de 50%, voire 100% dans quelques années ». Bref, comme pour le marché de l’art contemporain, celui des vieux os, à sa petite échelle, se porterait bien. Et c’est une histoire de passion, mais surtout de gros sous.

Autre type d’acheteur, qui reste rare : le chef d’entreprise qui veut l’exposer pour attirer du monde. C’est le cas de certains parcs d’attractions aux Etats-Unis, rappelle Eric Mickeler. En France, le seul cas qui pourrait s’en rapprocher est celui de la cave de Montfrin. Ces viticulteurs du Gard ont acheté en 2006 un squelette de mammouth pour 183 000 euros à Drouot. Pas par passion pour l’histoire naturelle, « mais par pur marketing, et par hasard », explique la patronne de la cave. « On avait de la place dans nos locaux refaits à neuf, et on cherchait quelque chose pour communiquer. »

Les patrons ont misé aux enchères à distance, sur internet. L’animal vieux de 10 000 ans est arrivé en pièces « dans des caisses anti-feu et anti-eau » et a été monté sur son armature plusieurs heures durant. Depuis, même s’il prend la poussière (on ne peut le nettoyer qu’à distance, avec des soufflettes) le succès de la « cuvée mammouth » de la cave, avec logo assorti, ne s’est pas démenti. « Les ventes ont vite remboursé l’investissement. C’était une idée de génie ! Et aujourd’hui, il vaut 300 000 euros », s’enorgueillissent ses propriétaires.

Caractéristique commune de tous ses acheteurs : contrairement à l’objet de leur convoitise, ils savent se faire extrêmement discrets. Si certains se déplacent incognito en salle des ventes, la plupart ne viennent même pas en personne. « Tout se passe au téléphone avec un membre du personnel qui se trouve sur place, et va les informer des offres en direct et prendre leurs enchères », explique Eric Mickeler.

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Pas étonnant que les noms des généreux mécènes ne soient pas affichés dans les musées. Karine Boutillier, directrice du Paléospace de Villers-sur-Mer, décrit  une certaine « philosophie de la philanthropie » : « ils veulent mettre leur passion à la portée du plus grand nombre. Ils ne font pas ça pour leur nombril et leur propre gloire. » Le résident de Boston (Massachusetts, Etats-Unis) qui a acheté un tricératops chez Christie’s en 2008 (ci-dessus) et l’a prêté au musée de sa ville lui a simplement donné le prénom de son grand-père, Cliff. Une autre source habituée à fréquenter ces collectionneurs de fossiles donne une explication différente à cette apparente modestie : « Ils ont peur du fisc, des vols, d’un tas de choses. ».

Et la peur de faire mauvais genre ? « Il y a eu une levée de boucliers de la communauté scientifique lors de la première vente de ce type que j’ai organisée, admet Eric Mickeler, parce que je donnais une valeur marchande à ce qui ne devait pas en avoir. »

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Ronan Allain, paléontologue au Musée d’Histoire naturelle de Paris, n’a eu de cesse de critiquer ces ventes aux enchères,« un scandale » qui concerne « trois pékins qui peuvent se payer ça », expliquait-il sur Dinonews.netau moment de la vente de Sotheby’s en 2010. Il reproche à ces enchères de faire gonfler démesurément les prix des fossiles et d’en priver la communauté scientifique, « même si ce sont des espèces connues ».

Surtout, le scientifique critique leur provenance, floue, voire illégale. Certains proviendraient de la contrebande organisée en Chine ou en Mongolie, où leur exportation est pourtant interdite. Pour lui, ces fossiles, livrés sans documentation précise des fouilles qui les ont mis au jour, ont été privés de leur valeur scientifique. Des critiques qu’EricMickeler, qui n’est pas lui-même paléontologue, balaye : « Je ne travaille qu’avec des scientifiques qui ont pignon sur rue ». Il argue que la valeur marchande de ces fossiles vient justement de leur valeur scientifique, expertisée, et de la difficulté de leur extraction, qui nécessite parfois des engins de chantier.« C’est quelque chose qui choque en France, mais qui est parfaitement accepté aux Etats-Unis », assure l’expert.

Car Outre-Atlantique, des stars d’Hollywood utilisent sans complexe des squelettes de dinosaures pour décorer leur salon. Nicolas Cage a acquis aux enchères un crâne de Tarbosaure pour 276 000 dollars en 2007, chez IM Chaits, à Beverly Hills. Leonardo DiCaprio, lui aussi intéressé, n’a pas voulu miser plus. Le réalisateur Ron Howard ou l’ancien directeur de Microsoft et paléontologue amateur Nathan Myhrvold sont aussi des collectionneurs connus de la maison, d’après le commissaire-priseur Josh Chait, cité par The Telegraph. Il expliquait ainsi en 2007 : « Les os de dinosaures et tous les types de fossiles sont incroyablement demandés en ce moment. Les gros bonnets d’Hollywood et les types super riches du Moyen-Orient adorent ces trucs. »

Mais quelques années plus tard, en 2015, Nicolas Cage a dû rendre son crâne millénaire à son propriétaire initial : la Mongolie. Pas de chance : son Tarbosaure provenait d’un trafic de contrebande. Après ce scandale, un journaliste de Slate.com priait ainsi les stars hollywoodiennes d’arrêter d’alimenter ce commerce interlope qu’il assimilait à du « braconnage ».

De quoi rappeler que, même si vous décidez de casser votre tirelire pour un allosaurus, « une bête comme ça n’est jamais complètement votre propriété », explique la cave de Montfrin. Les propriétaires du mammouth ajoutent :« Quand on voudra la revendre, on devra le notifier aux paléontologues russes qui sont venus nous l’installer il y a dix ans. Sinon, ce serait trop facile de le revendre en pièces détachées. Et ce serait dommage. »

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Une clause qui existe rarement. Du coup, certains squelettes disparaissent dans la nature. Depuis six ans, on a ainsi perdu la trace d’un plésiosaure (ci-dessus), reptile marin de 190 millions d’années et quelque 9 mètres de long, cédé pour 456 700 euros chez Sotheby’s à Paris. Reste à espérer que Kan l’allosaurus ne connaisse pas le même sort.

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